La photographe dont nous allons parler aujourd’hui dit n’avoir photographié qu’un visage, mais connaissant son travail, l’affirmation est on ne peut plus paradoxale.
D’une certaine façon, elle a photographié toutes les femmes, tous les archétypes culturels autour de l’image féminine, que ce soit dans la mode, le cinéma, ou sur les réseaux sociaux. Mais elle n’a photographié que son visage.
D’une certaine façon, elle a été photographiée par tout le monde, en imitant la façon dont les réalisateurs, les photographes, ou les femmes elles-mêmes photographient les femmes ou se photographient. Mais elle est toujours, et cela depuis quasiment un demi-siècle, la seule à tenir l’appareil photo.
Elle cultive la simplicité, notamment dans sa façon de créer ses images : elle se déguise et se photographie. On ne saurait faire plus épuré. Simplicité sur le discours aussi, de ses images elle dit peu, et s’amuse de tout ce que l’on peut bien raconter dessus. Et pourtant, c’est l’une des photographes les plus chères du monde, une des plus prisées des collectionneurs et des musées.
Une artiste aux multiples facettes, qui dit tout, tout en restant assez mystérieuse : il est temps de plonger dans l’œuvre de l’incroyable Cindy Sherman.
Débuts
Cindy Sherman est née en 1954 à Glen Ridge, dans le New Jersey, que l’on peut considérer comme la banlieue de New York. Peu après sa naissance, sa famille déménage à Huntington, près de Long Island. Elle y grandit, comme la dernière d’une fratrie de 5 enfants.
Ses parents n’ont aucun intérêt pour le monde des arts, son père étant ingénieur et sa mère professeure de lecture (apparemment, c’est un métier !), cependant elle choisit d’étudier l’art. Elle s’inscrit à l’université d’État de New York au début des années 70.
Elle commence comme peintre, mais très rapidement elle se lasse et se heurte aux limites du médium. Et ça, c’est très lié au contexte. Dans les années 1970, les peintres travaillent beaucoup sur le minimalisme, et Sherman a peu à peu l’impression qu’il n’y a plus rien à dire par la peinture.
Elle se tourne alors vers la photographie. L’histoire est assez ironique : elle échoue d’abord à un cours de photographie obligatoire, puis quand son intérêt pour le sujet revient, elle décide de le reprendre.
Lors de ses études, elle a rencontré les artistes Robert Longo et Charles Clough, avec lesquels elle a cofondé le Hallwalls Center for Contemporary Art en 1974 (qui fonctionne d’ailleurs encore aujourd’hui comme un centre artistique). Pendant ses études, Sherman a découvert l’art conceptuel et d’autres mouvements artistiques et progressistes sous la direction de Barbara Jo Revelle, professeure d’art très influente à l’époque.
Elle termine ses études et obtient son diplôme. Elle plie alors bagage et va s’installer à New York pour poursuivre sa carrière artistique. Nous sommes en 1977, et son loft va devenir le lieu de création d’une des œuvres majeures de l’histoire de la photographie.
Film Stills
Elle commence une série de photographie d’elle-même, un projet qu’elle nomme Untitled Film Stills.
Pour comprendre ce qu’est ce travail, il faut expliquer ce que sont les Film stills. Cela s’approche des photographies de plateau que l’on a chez nous, mais c’est un brin différent.
Il s’agit de photographies prises pendant la production d’un film. Elles peuvent être prises sur le plateau ou en dehors, dans les studios, la maison de l’acteur, ou pendant des évènements liés au film. Le but est évidemment promotionnel. Les portraits sont posés et servent à la communication autour du film.
Il faut se replacer dans le contexte : on est loin de l’époque d’internet, le cinéma fait rêver et il y a toute une iconographie autour des Films stills. Par exemple, 5 photographes de l’agence Magnum Photos se sont succédé sur le tournage de The Misfits (Eliott Erwitt, Eve Arnold, Erich Hartmann, Henri Cartier-Bresson et Robert Capa !).
Donc Sherman va travailler sur les Films stills, mais sans film (ni référence à un film existant). Elle sera toutes les icônes du cinéma. Dans cette série, elle incarne le personnage de « Everywoman ». Se transformant tour à tour en divers archétypes féminins. Elle joue la pin-up, la sirène de film noir, la femme au foyer, la prostituée et la noble demoiselle en détresse.
Ces images sont devenues à juste titre des icônes de l’histoire de l’art. Elles présentent une atmosphère de film noir et néoréaliste dans l’esthétique du cinéma de Hitchcock, d’Antonioni ou de Godard. Ce que racontent ces images reste énigmatique.